Guillaume HERBAUT
La Zone
© Guillaume Herbaut, Palieska
série La Zone, 2009 -2011 / Courtesy Agence Institute
Je vois, devant moi, ce pont enneigé, la lumière bleutée du soir et des traces de loups. Depuis deux jours, je suis dans la zone interdite de Tchernobyl. Je ne voulais pas y retourner. J’y avais passé trop de temps entre 2009 et 2011. Quatre mois à me perdre dans ce territoire interdit qui me fascine depuis mon premier voyage en 2001. Une attirance et une répulsion dans le même temps. La peur de la plaque trop contaminée. La zone est devenue pour moi un espace de réflexion. Tchernobyl ne m’intéresse plus, ni son histoire, ni ses conséquences. Je voudrais fermer les yeux et oublier. Et pourtant, je vois Piotr qui marche dans la neige, il va traverser la zone interdite pour y voler du métal contaminé. J’entends Igor me dire, «je serais ton ombre». Je vois Larissa se déshabiller dans cet hôtel d’Ivankov «mais pourquoi je fais cela?». Je sens l’haleine alcoolisée des miliciens. «Nous étions furieux. Vous arrêtez dans la zone, nous aurait valu une prime». Je vois Vladimir chanter et me faire boire à en être malade. Je vois dans les brumes alcoolisées cet homme se faire lyncher. J’entends le bruit sourd de son crâne cogner le sol, j’entends mon radiomètre crier, et me dire je ne dois pas rester.
Tchernobyl vrille ma tête et mes repères, et aujourd’hui il est bien difficile de m’en défaire. Et puis il y a ce pont, et ces traces de loups dans la neige. Il y a cette eau noire et profonde. La rivière Uzh. Je dois partir. Un pas de trop, un choc, je sens l’eau glaciale me transpercer et me rend compte que la neige cachait un trou. Mon tibia est touché. Rien de grave, si ce n’est la peur. Et la confirmation que pour moi le voyage doit se finir.
En 2001, j’étais allé à Tchernobyl, et j’avais consacré mon travail sur la mémoire de la catastrophe et sur notre rapport à la radioactivité. Tchernobyl m’avait fait passé du noir et blanc à la couleur et du mouvement à la frontalité. En résumé j’allais du reportage au documentaire, me poussant à réfléchir sur mon approche dans le photojournalisme. En 2009, Tchernobyl me permettait de considérer la réalité comme une matière dans laquelle je pouvais me noyer, de pousser le sentiment de fiction et de sortir d’une photo arrêtée.
Avec le temps, Tchernobyl est devenu un repère comme un phare à la lumière morbide.
Guillaume Herbaut
© Guillaume Herbaut, Palieska série La Zone, 2009 -2011 / Courtesy Agence Institute |
Guillaume HERBAUT - La Zone
Exposition présentée du mardi 15 mai au samedi 23 juin 2012
> Le Prieuré de Locmaria,
Place Bérardier 29000 Quimper
06 49 42 76 10
> ouvert du mardi au samedi de 15h à
19h